Laboratoire pédagogique du Greta du Velay

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Le point de vue d'une participante à un programme de qualification des employés issus de l'immigration

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Entretien avec Milena Jørgensen de l’Hôpital universitaire Ulleval d’Oslo

Milena a participé au programme norvégien pour la promotion de personnes issues de l’immigration à des postes d’encadrement. Elle est maintenant cadre intermédiaire à l'hôpital universitaire Ulleval.

Le projet de recrutement norvégien a été lancé en 2006 à partir d’une collaboration entre l’Hôpital universitaire Ullevål, les Brasseries Ringnes, Oslo Sporveier (transport public) et Vox, l'Institut norvégien pour l'éducation des adultes. L'objectif principal était de qualifier et de recruter des travailleurs d'origine immigrée à des postes d’encadrement intermédiaires.

1. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur vos antécédents professionnels (nationalité, éducation, pourquoi vous êtes venu en Norvège…) ?

Je suis né en Allemagne mais j’ai grandi en Yougoslavie (ex-Yougoslavie, aujourd'hui Serbie). Je suis ingénieur agronome de formation et j'ai également un Master en Management de la Norwegian School of Management. J'ai commencé mes études en norvégien à l’École de gestion, après avoir pris part au programme de recrutement

et j'ai étudié à temps partiel tout en travaillant à temps plein. Je suis mariée à un Norvégien et nous vivons à Oslo depuis six ans. J’ai travaillé à l’hôpital sept ans comme technicien de laboratoire.

2. Comment vous a-t-on présenté ce programme de recrutement ?

J'ai trouvé les informations sur le programme sur le site intranet de l'hôpital. J'ai d'abord pensé que je n'étais pas qualifié pour y prendre part, puisque l'une des conditions était que  les participants aient passé le "Bergenstest" (un test de langue). Quand je se suis arrivé en Norvège, ce test n’était pas nécessaire donc je ne l'ai jamais passé. Ensuite, j’en ai parlé avec notre responsable des ressources humaines qui m'a encouragé à rejoindre le programme. Elle m'a dit que cette exigence était une simple formalité et que mon norvégien était suffisant bon.

3. Quel a été votre première réaction lorsque vous avez connu l’existence de ce programme ?

J'ai pensé que c’était bien que l’hôpital mette un place des programmes comme ça. Je n'ai pas entendu parler d'autres hôpitaux offrant des programmes similaires. C'est assez difficile pour les employés d'origine immigrée qui veulent promouvoir leur carrière et améliorer leur situation professionnelle.

4. Comment évaluez-vous le programme dans son ensemble ?

Le programme était très bon. Il a donné aux participants un aperçu sur ce qu'il faut pour être un cadre intermédiaire et sur ce que cela signifie. Le programme nous a fourni le contexte théorique et la compréhension du contexte du cadre. Cependant j'ai trouvé le programme d'une portée trop large et trop générale. Les participants venaient de trois organisations différentes, de différents milieux éducatifs et avec différents niveaux de maîtrise du norvégien. J'aurais préféré que les participants soient plus égaux en terme d'éducation et de compétences linguistiques.

À mon avis, le cours aurait pu être plus intensif. Nous nous sommes réunis seulement une fois par mois et ensuite pendant trois jours. J'aurais préféré une rencontre d’une semaine au lieu de seulement trois jours. J'aurais également aimé avoir plus de devoirs, avec des tâches plus concrètes à faire à la maison entre les regroupements. J’aurais gardé une motivation plus forte si j'avais pu rencontrer mon groupe entre les réunions, pendant mon temps libre.

5. Qu'est-ce que vous avez appris de plus important ?

La chose la plus importante pour moi, c'est que j'ai acquis une meilleure compréhension des différentes cultures. Bien que l’hôpital Ulleval soit un milieu de travail multiculturel, dans mon quotidien, je travaille principalement avec les Norvégiens. C’est durant le programme que j'ai vraiment réalisé que nous interprétions les choses différemment, en fonction de notre contexte culturel. Ce peut être par les paroles ou par son comportement. Comme gestionnaire, il est crucial de comprendre réellement ce que les gens disent. Ceci est particulièrement important dans un milieu de travail caractérisé par la diversité culturelle. Nous étions divisés en groupes et nous avons dû dire aux autres ce que nous pensions de leurs points forts et faiblesses. J'ai compris que d'être une femme cadre peut parfois être un défi. Par exemple, selon certains participants une femme cadre n'est pas prise au sérieux si elle sourit trop.

Un autre résultat important pour moi portait sur le développement de soi. Nous avons eu à nous pencher sur nos propres faiblesses et les points forts et a travailler sur eux. Je suis ainsi devenu très consciente de mes propres faiblesses, par exemple ma tendance à devenir très vite impatiente.

6. Que pensez-vous de la méthodologie du programme ?

Les conférences ont été très variées. Mais j'ai manqué plus d'attention à TIC et de l'utilisation d'Internet et des courriels pour communiquer. Tous les participants n'ont très familiers avec les TIC et e-mails, et maintenant vous devez savoir communiquer par e-mail et Internet.

7. Pensiez-vous postuler à un poste d'encadrement intermédiaire avant de participer à ce programme ?

Non, je n’aspirais pas à un poste de cadre intermédiaire avant le cours. Mais au cours du programme j'ai compris que je pouvais effectivement devenir manager. Ma confiance en moi s'est encore renforcée. J'ai aussi remarqué que j'ai une très bonne éducation de base. En me comparant aux autres participants, j'ai compris que je maîtrisais bien le norvégien, et que j’avais une bonne compréhension de la culture norvégienne. J'ai aussi appris qu'il m’est possible de changer dans une certaine mesure, qu'il y a un certain potentiel d'amélioration. Il faut arrêter de penser que "je suis comme je suis et cela ne peut pas être changé".

En tant que gestionnaire, je dois afficher une image complète des choses et garder à l'esprit ce qui est important pour l'hôpital ou pour mon ministère. J'ai une meilleure compréhension de la façon dont une organisation fonctionne.

8. De quelle manière le programme a influencé votre journée de travail ?

Je suis plus préoccupé par la façon dont je parle avec mes collègues et je prends soin de leurs besoins. Je veux inspirer mes collègues, montrent que je me soucie d'eux et je tiens à faire preuve de souplesse dans ma relation avec eux. Je comprends également mieux qu'auparavant que lorsqu'il y a des changements en cours dans l’organisation, c’est en fonction de perspectives à long terme.

Je suis un cadre intermédiaire aujourd'hui, mais sans avoir la responsabilité du personnel. Je vise d'autres postes de direction dans l'avenir et je garde un œil sur les offres d’emploi interne. J'aime particulièrement l'aspect multiculturel du travail à l'hôpital. Je trouve les questions multiculturelles très intéressantes et engageantes. Cela tient peut-être au fait que je suis mariée à un Norvégien et que je sente que j'appartiens à deux cultures.

9. De quelle manière ce programme a-t-il influencé les attitudes de vos collègues envers vous ?

Je ne pense pas que le fait de participer au programme a changé les attitudes de mes collègues. Notre unité est petite et je travaille ici depuis si longtemps. Nous nous connaissons déjà bien.

10. Peu de cadres en Norvège sont d’origine immigrée. Pour quelle raison, à votre avis ?

La raison principale est la barrière linguistique. Il n'est pas si difficile d'apprendre le norvégien. Mais la vraie difficulté est de déchiffrer le code culturel et de bien comprendre le sens des mots que vous utilisez. Lorsque vous arrivez dans un nouveau pays en tant qu'adulte, vous devez travailler très dur pour apprendre la langue. J'ai moi-même travaillé sur mon norvégien en permanence et je suis très consciente de ce sujet.

Puis il y a le fait que les immigrants arrivent avec une éducation différente. Et il est très difficile d'avoir vos études validées même si c’est moins difficile quand vous venez d'un autre pays européen.

Les immigrants très souvent, manquent d'un réseau qui est pertinent dans la vie professionnelle. Ce genre de réseau est quelque chose que vous créez durant vos études et quand vous avez étudié dans un autre pays, ce réseau vous manque.

En tant qu'immigrant, vous devez être particulièrement ouvert, extraverti et communicatif si vous aspirez à un poste dans l'encadrement intermédiaire.

La plupart des gens préfèrent aussi embaucher et parler aux gens qui leur ressemblent. C’est plus simple et ils se sentent plus en sécurité car ils savent ce qu’ils peuvent en attendre. C'est aussi une des raisons pour lesquelles les employés issus de l'immigration ne sont pas recrutés à des postes de direction.

Il existe d'autres obstacles, par exemple, les immigrants ont souvent peur. J'ai lu moi-même ce qui était écrit dans les journaux sur les immigrants impliqués dans la criminalité, etc., et je me demande ce que les Norvégiens qui me regardent, pensent de moi. Ceci diminue la confiance en soi. Cet aspect a changé en revanche pour moi. Mon mari m'a aidé à gagner la confiance.

Un autre obstacle est que de nombreux employés d'origine immigrée ne se sentent pas bons ou pas assez intelligent. Ils pensent que les Norvégiens n'aiment pas ce qu'ils font et leur façon de faire les choses. Je pense que c'est surtout les femmes qui pensent de cette manière. Il est important pour les employées issues de l'immigration de sentir qu'elles sont acceptées et respectées par les Norvégiens.

11. Que peuvent faire les employeurs pour recruter davantage de cadres d’origine immigrée ?

Ils doivent montrer que c'est vraiment important pour eux comme cela ce fait ici, à l’hôpital. Il y a toujours des cours auxquels vous pouvez y assister, et les ressources humaines sont continuellement à la recherche d’employés ayant les bonnes qualifications à qui l’on peut proposer par la suite une formation pour devenir cadre.

Pendant ma dernière année à la Norwegian School of Management, il y avait des conférenciers de plusieurs hôpitaux norvégiens et j'ai appris que l’hôpital Ulleval est le seul hôpital de Norvège à avoir un programme pour qualifier et recruter des cadres issus de l'immigration. Cela m’a surpris étant donné que tous les hôpitaux en Norvège ont beaucoup d'employés d'origine immigrée, infirmières, médecins et tout type de personnel.

12. Que peuvent faire les employés issus de l'immigration eux-mêmes pour être recrutés à des postes de gestion ?

Ils doivent être plus offensifs, ne pas se cacher. À mon avis, de nombreux salariés issus de l'immigration ont tendance à se retirer du marché du travail. Ils pensent que le travail qu'ils ont déjà leur suffit et qu'ils ne peuvent pas demander plus car ils sont immigrants et que les Norvégiens ont le droit de réclamer les meilleurs emplois. Les immigrants doivent travailler sur eux-mêmes, travailler dur, être ambitieux et ne pas hésiter à appeler au téléphone quand ils trouvent une annonce d'emploi intéressant pour lequel ils pensent être qualifiés. Bien sûr, cela peut être difficile : vous ne vous sentez pas toujours à l'aise ou confiant lorsque vous ne maîtrisez pas la langue assez bien.

Si leur formation antérieure n'est pas valable en Norvège ou s'il n'y a pas de demande pour le type de qualification qu’ils ont, ils doivent continuer à se former eux-mêmes. C'est possible de le faire en Norvège.

13. Comment allez-vous vous comporter quand vous serez cadre ?

Je veux rendre les gens impatients d'aller au travail et faire qu’ils soient rarement en congé de maladie. Je veux créer un sentiment de communauté parmi les collègues. Je veux qu'ils se développent et acquièrent plus de compétences. Je souhaite également créer une atmosphère où les gens se soucient les uns des autres.