Laboratoire pédagogique du Greta du Velay

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Les journées GreCO : laisserons-nous les technologies décider à notre place ?

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GreCO Les 2 et 3 juin 2005 se déroulaient les journées GreCO organisées par les services TICE de Grenoble Universités. Conférences, débats, ateliers forum ou découverte, présentation de projets, le programme était exhaustif et accueillait une belle palette de spécialistes (voir le programme). Le CRI/Greta du Velay était invité comme intervenant de l'atelier « Étudier avec les technologies, ça se paye ! », l'occasion de rappeler l'existence de la Charte pour l'Inclusion Numérique et Sociale. Débat très riche, pendant lequel nous avons essayé de répondre à la question « qui paye et pour quoi ». Un compte rendu détaillé sera disponible sur le site des organisateurs. J'ai noté quelques réflexions personnelles et initiatives intéressantes issues de ces 2 journées de rencontres.

L'« Opération micro portable étudiant » initiée par le Ministère de l'Education Nationale a été chahutée gentillement par Mélanie Collet, représentante de l'UNEF. Certaines organisations étudiantes demandent à ce que les besoins de base (logement entre autres) soient d'abords pris en compte avant de proposer l'achat d'un portable à crédit (NDLA: oui, mais peut-on hiérarchiser ou mettre en concurrence les problèmes...). L'association EVE (Espace Vie Étudiante), installée sur le campus de Grenoble, répond différemment en proposant aux étudiants de louer un ordinateur portable : 1,5 €/jours avec assurance, 10 jours minimum, possibilité de rachat. Olivier Royer, le directeur d'EVE, note que la non-possession de la machine amène les étudiants à la considérer autrement : elle doit répondre à leurs besoins immédiats (rédiger un rapport, lire leurs méls, consulter internet) qui sont généralement satisfaits par une machine de base. Avec une machine possédée, il y a des usages plus diversifiés (incluant les loisirs), donc moins de pérennité. EVE fourni également un accès internet aux étudiants, avec une simple borne wifi installée dans ses locaux, et la bonne volonté de ceux qui gèrent l'installation. L'endroit est peuplé d'étudiants qui travaillent en buvant du café. En dehors des horaires d'ouverture, le lieu a paraît-il quelque-chose de surréaliste puisque les étudiants s'agglutinent aux abords du bâtiment pour profiter de l'accès internet sans fil.

Se sont reposées les questions de besoins de moyens, de rémunération des contenus et de formation aux outils. Dans un domaine aussi immatériel et subjectif, comment s'y retrouver ?... Les représentants étudiants indiquent que certaines universités ont augmenté drastiquement les coûts d'inscription, faisant valoir l'accès à des plate-formes de formation en ligne. Parallèlement certains professeurs éditent pour leur propre compte des livres qu'ils font ensuite acheter aux étudiants comme support de cours. Ajoutons à cela les questions de droit d'auteur que certains voudraient voir considérées... Au final, c'est peut-être la notion de « contenus libres » qui en profitera, et c'est peut-être ce qu'il faut espérer pour la qualité des contenus et la liberté des apprenants. Partout dans le monde le savoir s'ouvre et s'échange gratuitement. Dans ce contexte, peut-on penser qu'enseigner c'est monnayer sa production de contenu ? Concernant le « plus de moyens », est-ce que cette question peut s'affranchir d'une bonne identification des objectifs que l'on poursuit ? Fin 90 nous avions des réseaux 10 mégabits, début 2000 on généralisait le 100 mégabits, maintenant les demandes vont vers le gigabit en fibre optique. Où se situe le besoin réel ? En dix ans la demande technique s'est multipliée par 100, alors que rien encore ne spécifie clairement les objectifs que l'on veut attendre avec cette technologie.

Les représentants d'IBM et Fujitsu-Siemens nous ont éclairés sur les aspects matériels purs. Pourquoi le coût matériel ne baisse jamais, au profit de l'augmentation sempiternelle des performances ? A-t-on vraiment besoin de tout cela, pourquoi ne pas freiner un peu l'évolution ? IBM répond que ce sont essentiellement les attentes des utilisateurs qui provoquent l'évolution. En fait, si nous avons un « ordinateur suffisant » aujourd'hui, c'est justement parce que les attentes progressistes d'hier ont permis de l'obtenir. Philippe Koch note également que dans une entreprise (principal client des fabriquants et moteur de l'évolution) le matériel ne représente que 20% du coût total d'un poste informatique, le reste étant principalement des ressources humaines et logicielles. Donc discuter d'une réduction sur ces 20% n'a pas beaucoup de sens pour le fabriquant. L'entreprise a une approche pragmatique de l'évaluation du coût : elle connaît les objectifs à atteindre, ce que les technologies lui apportent, et combien elle pourra y consacrer. Cette approche n'est pas applicable à un cursus universitaire... mais une meilleure spécification des objectifs de terrain permettrait peut-être de mieux comprendre les investissements nécessaires au sommet.

Pour poursuivre le travail, nous pourrions réfléchir à ce que l'on attend d'étudiants et enseignants munis d'un ordinateur, en terme de production. L'utilisateur des technologies est au sein d'un réseau d'échange qui l'oblige à s'aligner par le haut : ce sont les plus équipés qui mènent la danse (voir par exemple comment internet se dédie peu à peu aux clients haut-débit, à cause de productions toujours plus gourmandes, délaissant les moins équipés). Cet alignement coûte forcement plus cher. Pourquoi ne pas rechercher un dénominateur commun raisonné, en définissant le niveau de qualité acceptable (sur la forme) dans les productions des étudiants et enseignants, de façon à permettre un investissement matériel et logiciel minimal sans discrimination ou coercition. Cela passerait par exemple par le choix ou l'établissement de normes qui garantissent pérennité et indépendance des outils de production et d'accès aux ressources.

En séance plénière Fabrice Forest, du projet Adamos, a présenté un film sympathique de prospective sur des usages possibles de la technologie au service de la personne. Cette fiction met en scène un personnage qui commence à regretter d'avoir investi dans un assistant personnel numérique nouvelle génération, capable de l'assister dans son quotidien. Il lui signale par exemple la proximité d'amis dans sa ville, lui propose de prendre ou décaler automatiquement des RDV, prend soin de son rythme cardiaque pendant la séance de tennis, etc. Au delà de l'anecdotique, le travail de recherche sous-jacent a permis d'étudier (entre autre) la complicité qui peut exister entre l'utilisateur et sa machine. Le film a fait réagir le public : n'est-ce pas dangereux pour la liberté individuelle ? Faut-il en avoir peur ? Quel pouvoirs s'installent et s'instrumentalisent à travers l'acceptation de ces systèmes ? Étrange, cette projection vers l'avenir suscite des craintes, alors que d'autres technologies déjà en place, auxquelles nous sommes en partie ou totalement soumis et dépendants, et qui sont aussi contraignantes, ne semblent pas vraiment remises en cause... C'était peut-être le sens de la réflexion d'un participant, qui pense que cette promotion institutionnalisée des technologies dans l'éducation nous amène vers une société « à la 1984 », avec l'aide volontaire ou non des enseignants. Cela montre bien que le débat est nécessaire si nous voulons que la société trouve un équilibre juste dans l'utilisation et l'acceptation de ces technologies.

Roberto Di Cosmo, co-auteur de « Hold-up planétaire », a fait une intervention sur le thème « Monopoles informatiques : mieux comprendre pour se libérer ». Très intéressant pour qui avait de bonnes bases sur le sujet, mais je crains que cette quantité d'information, sans mode d'emploi et pistes pragmatiques, aide peu les étudiants et enseignants à « se libérer » par leurs pratiques.

Dans l'atelier découverte « ePortfolio », Eric Bruillard a fait une présentation très claire des enjeux pédagogiques liés à la création d'un portfolio. De son expérience et de celles de ses étudiants, la difficulté dans cet exercice semble reposer pour beaucoup sur la liberté d'action que l'on a pour parler de soi. La contrainte de temps est nécessaire, un portfolio n'étant de toute façon jamais terminé. Les technologies ne sont pas un réel problème, puisque l'intérêt est de parler de soi avec les moyens que l'on possède. Eric B. a donné de bonnes idées de pratique, comme ces étudiants qui ont composé un portfolio à trois avec parties spécifiques pour chacun, celui qui a fait différentes entrées selon le profil du visiteur (employeur, amis...), ceux qui impliquent leur conjoints, ceux qui s'appuient sur l'image métaphorique, etc. Suite à cela l'écriture d'un simple CV devient fade ! Espérons seulement que le portfolio, ce travail introspectif et original, soit reconnu au même titre.

Le concept de « micro-learning », introduit par Frédéric Soussin (CNAM Pau) lors d'un atelier découverte, réhabilite et formalise avec justesse la « formation tout au long de la vie ». Pourquoi ne pas se former au quotidien mais en permanence, sur des moments courts mais efficaces, avec du contenu aggrégué depuis différentes sources d'information, le tout avec un formateur qui coordonne le processus et apporte son soutien. Cela responsabilise également l'apprenant, qui devient acteur de sa formation. Les outils technologiques actuels et ceux à venir permettent de monter ce genre de dispositif de formation, par l'assemblage de leurs fonctionnalités (NDLA: sans s'enfermer dans la rigueur d'une plate-forme globalisante et centralisatrice !). Cela confirme ce que nous pensons depuis longtemps au CRI, internet dans son ensemble est la plate-forme de formation de l'avenir, celle qui n'emprisonne pas l'apprenant dans une « classe virtuelle », et qui redonne au e-prof son rôle de guide vers de nouvelles façons d'apprendre. Comme le professeur « classique », qui sélectionne les bonnes pages parmi les millions que comporte la bibliothèque.

Parmi la cinquantaine d'initiatives présentées le vendredi après-midi, Yannick Hamon présentait le projet AMICO (Aide à la Mobilité Internationale par la Communication Orale) qu'il dirige, à l'université Stendhal de Grenoble. Un des problèmes que rencontrent les étudiants étrangers est la compréhension du discours dans les cours magistraux. Lorsqu'un professeur dispense son cours il utilise différents codes pour s'exprimer : exemples, humour, digressions, le tout enchaîné parfois de façon confuse pour ceux qui comprennent mal le français, rendant la compréhension et la prise de note difficiles. Le projet AMICO permet de se former, via un site web, à l'analyse du discours. Basé sur une vidéo de cours magistral, l'outil permet aux étudiants d'apprendre à décortiquer un discours et d'en noter l'essentiel.

D'autres initiatives intéressantes : Mobinet (simulateur de mobiles programmable, INPG), les voyelles labialisées du français (Université Stendhal de Grenoble), le simulateur de procédures judiciaires (Faculté virtuelle de droit Lyon 3), le Dictionnaire numérique de l'Administration française et l'Encyclopédie numérique des Droits de l'Homme (IEP), et bien d'autres, à voir sur le site GreCO.

Nous félicitons et remercions le GreCO pour l'organisation de ces journées équilibrées, entre conférences, débats, ateliers, galerie de réalisations. Nous y serons donc à nouveau l'année prochaine ! Un merci particulier à Daniel Seyve et Michel Perrier pour leur invitation.